À l’heure où les réglementations sur les crypto-actifs sont discutées au sein de l’Union européenne et aux États-Unis, la question de l’empreinte environnementale de la technologie révolutionnaire de la blockchain est cruciale. Selon le Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index, la consommation en électricité annuelle du Bitcoin est actuellement estimée à près de 137,2 TWh, soit plus que la consommation annuelle de pays comme les Émirats arabes unis (122 TWh) ou la Norvège.
Peut-on vraiment envisager un modèle alternatif ? Quel équilibre retenir face aux enjeux environnementaux, de sécurité et de gouvernance ?
Pour éclairer ces questions, Jacques-André Fines Schlumberger, directeur opérationnel de l’association à but non lucratif Blockchain for Good, soutenue par la Chaire « Blockchain & platform » de l’Ecole Polytechnique et docteur en Sciences de l'Information et de la Communication, nous livre ses réflexions.
L’association des termes “blockchain” et “soutenable” reviendrait à dire que certaines blockchains ne sont pas soutenables. Or, ce n’est pas parce qu’une blockchain dépense de l'énergie qu’elle n’est pas soutenable. Il faut aller plus loin.
Bitcoin, qui représente une innovation majeure à l’échelle de la planète, est sécurisé car il dépense de l'énergie. Il n'a d’ailleurs jamais été piraté depuis 2008 et de nombreuses blockchains reposent aujourd’hui sur son modèle. La bonne question à poser : est-ce que le service proposé vaut sa dépense énergétique ? Cela revient à questionner la consommation énergétique de Bitcoin au regard de ce qu’il apporte : un système universel de monnaie électronique en pair-à-pair. Par ailleurs, je tiens à souligner que les mineurs achètent l'énergie la moins chère possible. Or, il se trouve que l’énergie la moins chère aujourd’hui est le surplus d’énergie renouvelable, notamment hydraulique. Aujourd’hui, les mineurs n'ont aucune incitation à être intègre écologiquement. Le choix du type d’énergie consommée est purement économique.
À ce jour, il existe trois générations de blockchains.
La première génération avec Bitcoin. Dans ce cadre, les transactions sont validées par une opération de minage, qui consiste à effectuer un calcul cryptographique appelé “validation par la preuve de travail” (proof-of-work). Cette opération, fortement consommatrice en énergie, est l’un des rouages permettant de sécuriser les transactions sur le réseau et de générer de nouveaux bitcoins. Les ordinateurs participant au minage sont en compétition pour valider les nouveaux blocs de transactions. Seul le premier qui résout le calcul est rémunéré, les autres auront travaillé (et dépensé de l’énergie) en vain.
La deuxième génération, emmenée par Ethereum, repose également sur la preuve de travail. Sa particularité est la création de contrats autonomes (ou smart contracts en anglais), c’est-à-dire, des contrats qui s’exécutent automatiquement tels que programmés et dont la validité ne nécessite pas de passer par un tiers de confiance.
Enfin, la troisième génération repose sur la preuve d’enjeu (proof of stake en anglais). Contrairement à la validation par la preuve de travail, cette méthode ne repose pas sur la dépense énergétique, mais “demande à l’utilisateur de prouver la possession d’une certaine quantité de cryptomonnaie pour prétendre pouvoir valider des blocs supplémentaires dans la blockchain” (Blockchain for good, Blockchain et développement durable, 2020). Cette dernière génération de blockchain vise également à répondre à des enjeux de montée en puissance (scalabilité) et d’interopérabilité.
Ainsi, la dépense énergétique des deux premières générations de blockchain est bien plus importante que celle requise pour la dernière.
Tout d’abord, l’objectif n'est pas que toutes les blockchains adoptent la preuve d’enjeu. Pour être plus précis, la validation des transactions sur le réseau Bitcoin reposera vraisemblablement toujours sur le mécanisme de la preuve de travail. Quant à Ethereum, le passage du mécanisme de consensus Proof of Work au mécanisme de consensus proof of stake pourrait avoir lieu dans le courant de l’année 2022. Ce n’est pas facile de faire la migration d’un système à l’autre. La date du “merge” (nom donné à la transition par la Fondation Ethereum) est systématiquement repoussée par cette dernière. La date mise en avant actuellement serait dans les six prochains mois. Vitalik Buterin, le fondateur d’Ethereum communique sur le fait que le changement réduirait la consommation d'énergie d'Ethereum de plus de 99 %.
Alors que les innovations relatives à la blockchain sont encore très récentes, on observe en effet de nombreux développements autour de blockchains dites de 3ème génération, qui permettent de déployer des contrats autonomes, valident les transactions selon le mécanisme de consensus reposant sur la preuve d’enjeu, et résolvent des problématiques de montée en puissance et d’interopérabilité entre blockchains.
De plus, une des critiques de la proof of stake, est que le pré-requis pour valider des transactions repose sur le fait de détenir un certain nombre de crypto-monnaies. Est-ce que c'est une bonne chose de faire basculer le système sur un modèle un peu plus capitalistique ?
Enfin, si la proof of work et la proof of stake sont les principaux mécanismes de consensus blockchain, il en existe de nombreux autres, qui ne reposent pas sur la dépense énergétique.
La blockchain Bitcoin a été conçue en 2008 comme une monnaie électronique entièrement décentralisée dont les transactions sont validées et sécurisées par les utilisateurs eux-mêmes. Il s’agit d’une blockchain publique sans permission. Comme Ethereum, Cardano ou encore Tezos.
L’ensemble des blockchains ne disposent pas de ces caractéristiques. Il existe quatre types de blockchains : publique ou privée et avec ou sans permission.
“Dès qu’il y a permission ou qu’il s’agit d’une blockchain privée, les fondamentaux des blockchains publiques (gouvernance décentralisée et ouverte à tous) en sont absents. Dans les cas d’une blockchain privée bien qu’il y ait des nœuds de validation, il s’agit principalement d'optimiser les processus.”
Derrière les promesses des projets de blockchains, il est nécessaire d'identifier celles qui relèvent réellement d’une blockchain publique et celles qui ne le sont pas.
Dans le monde industriel, il existe beaucoup de projets de blockchain privées. Certaines exceptions existent dans certains domaines, telles que l’énergie, où l’on observe l’émergence de blockchains publiques avec permission, comme celle d’Energy Web Foundation. Tout d’abord, une entreprise ne peut pas créer une blockchain publique seule, c’est un projet qui doit naître à l’échelle d’un consortium d’entreprises. Cela reviendrait à tendre vers une “coopétition” entre acteurs. Ce mot, qui mélange les deux mots “coopération” et "compétition", définit une alliance entre différents acteurs économiques qui, par ailleurs, sont des concurrents.
“Aujourd'hui, les difficultés à mettre en place des blockchains publiques ne sont pas tant techniques que politiques. Il s’agit de changer les mentalités et les habitudes des modèles très pyramidaux et centralisés.”
Notons que le projet de règlement sur les marchés de crypto-actifs s’inscrit dans la politique plus générale du Pacte Vert pour l’Europe. Des réglementations européennes qui limiteraient l’usage des blockchains reposant sur la preuve de travail freineront l’adoption pour certaines et permettront à d’autres de prendre de l’avance.
Limiter l’usage du Bitcoin au sein de l’Union européenne freinerait aussi l’innovation de solutions telles que le « Lightning Network ». Il s’agit d’un protocole de paiement qui fonctionne au-dessus du protocole Bitcoin et qui permet d’accélérer les temps de transaction entre les nœuds. Cette innovation vient répondre aux enjeux de scalabilité et de dépense énergétique du Bitcoin.