Guy Ben-Ishai est un expert de premier plan dans le domaine de l’économie de la technologie et de l’innovation.
Il occupe actuellement le poste de responsable de la recherche en politique économique chez Google, où il supervise des initiatives visant à étudier et à façonner les politiques publiques relatives aux technologies émergentes.
Auparavant, Guy Ben-Ishai a été économiste en chef au bureau du procureur général de l’État de New York et principal au sein de Brattle Group, où il s’est concentré sur les politiques de concurrence, les marchés financiers, la protection des consommateurs et des sujets connexes.
Il est titulaire d’une licence en économie de l’UCLA et d’un doctorat de l’Université hébraïque de Jérusalem.
Il a également exercé en tant que chercheur postdoctoral à l’Université de Toulouse et a été chercheur invité au Milken Institute.
Les discussions ont permis d’aborder les impacts liés à l’adoption de l’intelligence artificielle sur le marché de l’emploi, les compétences des travailleurs et la formation Les échanges ont révélé à la fois les opportunités qu’elle offre, tout en abordant les défis à anticiper pour accompagner une adoption harmonieuse dans un contexte de compétition mondiale accrue.
L’une des questions relatives à l’utilisation de l’IA au travail concerne l’impact de l’automatisation des tâches sur l’emploi. Si l'IA pouvait automatiser entre 25% et 30% des tâches dans une grande variété de professions, le Dr Ben-Ishai considère que cela n'entraînera probablement pas un chômage de masse. En effet, le remplacement des tâches ne conduit pas pour autant à une suppression systématique d’emplois. Les nouveaux outils tendent plutôt à soutenir le travail humain qu’à le remplacer entièrement.
Plutôt que de remplacer des emplois, l’adoption de l’IA en entreprise peut valoriser les compétences humaines qui ne peuvent pas être facilement automatisées. En réservant l’automatisation à certaines tâches pour lesquelles la machine est plus efficace que l’humain, telles que la reconnaissance de formes, le traitement massif de données et la prédiction, l’humain peut se concentrer sur des activités nécessitant des compétences propres, comme la pensée critique et la prise de décision.
Cette redistribution des tâches pourrait apporter une véritable valeur ajoutée dans la collaboration humain-machine, par une répartition du travail entre le travailleur humain et l’agent artificiel. Cette nouvelle répartition des tâches humain-machine fait également émerger des défis, car il s’agira de déterminer où et comment faire évoluer des tâches, les processus de travail et les compétences des collaborateurs.
En synthèse, Le Dr Ben-Ishai a mis en exergue trois grandes catégories d’application des technologies d’IA :
L’IA, et notamment certaines technologies d’IA générative, pourrait bouleverser les méthodes d’apprentissage en permettant à des étudiants et à des travailleurs d’accéder à des informations et des compétences jusque-là inaccessibles sans plusieurs années d’études parfois coûteuses.
Lors de cette audition, le Dr Ben-Ishai a souligné qu’aux États-Unis un enjeu majeur réside justement dans l’importance attribuée aux diplômes universitaires, qui conditionnent l’intégration au marché du travail et engendrent in fine des difficultés socio-économiques pour ceux qui n’en possèdent pas.
Il est finalement possible que l’IA permette d’abaisser les barrières à l’entrée pour certaines fonctions à des employés n’ayant pas pu bénéficier d’une formation supérieure, en leur donnant accès à des outils d’apprentissage et d’assistance décisionnelle. L’un des effets secondaires, à surveiller, pourrait être une réduction de l’intérêt de certains diplômes d’enseignement supérieur dans ce contexte d’accès plus horizontal aux savoirs.
L’adoption des systèmes d’IA engendre des effets multidimensionnels qui se manifestent tant au niveau économique que sociétal. Nous avons exploré une partie de ces transformations en abordant, d’une part, des sujet relatifs à l’impact de l’IA sur l’économie mondiale, notamment en termes de productivité et de compétitivité, et d’autre part, sa capacité à contribuer à relever certains des principaux défis sociétaux du 21e siècle, à réformer l'avenir du travail et à faire progresser la découverte scientifique dans une multitude de disciplines. Ces deux volets, macro et méso, illustrent la complexité des changements engendrés par l’IA, soulignant la nécessité d’une adaptation réfléchie et équilibrée face à ces nouveaux usages.
Des inquiétudes émergent quant à la dislocation de l’ordre mondial et à la question de savoir si l’IA sera inclusive ou dominée par quelques grands acteurs, notamment occidentaux.
Le Dr Ben-Ishai a souligné qu’un tiers de l’humanité a été connecté à Internet au cours des quatorze dernières années, principalement dans les pays émergents, mettant en évidence la croissance rapide des utilisateurs de services numériques dans cette zone géographique. Il attire l’attention sur les défis auxquels sont confrontées les personnes dans ces pays pour tirer pleinement parti de la connectivité numérique, insistant sur la nécessité d’accéder à des dispositifs abordables et à un contenu pertinent.
Par ailleurs, d’après Guy Ben-Ishai, tout pays souhaitant mener la course à l'IA ou même simplement s'assurer que l’IA soit mise en œuvre sur son territoire doit développer son infrastructure numérique. Cette dernière ne se limite plus à la simple bande passante. Il s'agit dorénavant d'accéder à des centres de données et d'investir dans la puissance de calcul.
Enfin, des préoccupations relatives à l’augmentation de la puissance de calcul requise pour l’IA ont été évoquées par des membres de notre groupe de travail. Cela pourrait entraîner une consommation électrique accrue malgré les efforts déployés pour gérer cette consommation et réduire les émissions.
Plusieurs participants ont exprimé leurs inquiétudes face aux peurs entourant l’IA, en particulier concernant les problématiques liées aux biais, à la désinformation, au respect de la vie privée ou de la liberté. Une préoccupation récurrente porte sur l’influence de ces technologies sur l’éducation et la créativité.
Les discussions ont souligné la nécessité d’une conversation réfléchie à ce sujet. Elles ont aussi mis en avant la nécessité d’expliquer au public que les changements dus à la technologie ne s’opèrent pas rapidement et sont le résultat d’un long processus. Ces discussions peuvent à la fois permettre de bâtir une confiance tout en appréhendant collectivement ces risques.
La discussion a mis en lumière la complexité de la responsabilité dans la prise de décision en matière de technologie, soulignant l’importance d’une clarification quant à qui est responsable des conséquences des avancées technologiques. Les propos de Guy Ben-Ishai soulignent également l’importance d' identifier les étapes de la production de l'IA où ces préoccupations peuvent être prises en compte plutôt que d’accélérer sans garde-fou vers une adoption généralisée. Ces enjeux sont partagés par les travailleurs et les syndicats en Europe, qui manifestent d’importantes préoccupations concernant l’impact de l’IA générative, notamment des craintes liées à la substitution d’emplois et aux conditions de travail.
La discussion a également souligné l’importance des responsabilités des employeurs dans le contexte d’application de l’IA, en mettant en avant le fait que la réputation d’une entreprise est de plus en plus liée à ses actions éthiques et à la manière dont elle interagit avec ses parties prenantes.
Enfin, Guy Ben-Ishai a évoqué les risques d’une accélération technologique rapide dépassant la capacité d’adaptation des êtres humains, insistant sur la nécessité pour les entreprises d’ investir à la fois dans les applications transformatrices et dans la capacité de leur main-d’œuvre à s’adapter. Par ailleurs, des défis liés à l’intégration de l’IA dans certains domaines clés pour la société subsistent et devront être adressés au cas par cas. C’est notamment le cas des systèmes de santé, particulièrement en ce qui concerne l’assurance d’une communication et d’une coordination efficaces entre les diverses fonctions au sein d'un hôpital ou d'un prestataire de soins de santé, et les sujets relatifs à la prise de responsabilité dans le contexte médical.
Néanmoins, il exprime également son inquiétude face à la méfiance du public envers l’IA et à son impact potentiel sur l’adoption notamment dans des professions à enjeux élevés comme la santé. Les “peurs extrêmes” pourraient constituer un frein à l’innovation.
L’une des questions récurrentes lors de l’apparition de nouvelles technologies est la manière d’encadrer le mieux possible leur adoption. Nos échanges ont mis en avant certaines problématiques indispensables à prendre en considération lors de la mise en place d’un cadre réglementaire lié à l’adoption de technologies d’IA dans les pratiques professionnelles.
La discussion a insisté sur la nécessité d’adopter une approche équilibrée en matière de régulation de l’IA, mettant en avant l’importance de protéger la société tout en tirant parti du potentiel économique de ces technologies. Une régulation qui ne s’oppose pas à l’innovation, mais sache plutôt poser un cadre protecteur sans inhiber la créativité et l’adoption de nouvelles technologies. Il existe effectivement une crainte que des régulations excessives étouffent l’innovation dans l’IA.
Le Dr Ben-Ishai a également soulevé la question de la future réglementation demandant aux employeurs de clarifier leurs positions sur l’utilisation de la technologie. Cela est lié aux inquiétudes de remplacement des employés en raison des gains de productivité apportés par l'intelligence artificielle. Mais les faits ne corroborent pourtant pas ces inquiétudes : en 2016, une prévision annonçait que les radiologues seraient remplacés grâce aux avancées de l’IA. Or, le nombre de radiologues aux États-Unis a plutôt augmenté, exposant ainsi la complexité des questions liées au déplacement d’emplois.
Une préoccupation majeure a été exprimée concernant la nécessité de mise en œuvre d’une stratégie de gestion des données. Guy Ben-Ishai a souligné que, bien qu’il existe une stratégie pour les infrastructures et la puissance de calcul, il manque une approche cohérente pour la gestion des données.
Il a également été noté que la majorité des modèles linguistiques sont formés sur des données accessibles au public, collectées sur Internet, sans se limiter à une géographie ou à un pays spécifique, ce qui implique la nécessité d’avoir une approche globale.